En 100 jours à peine au pouvoir, la politique brutale de Donald Trump a déclenché une onde de choc aux États-Unis, mais aussi à l’international.
Des expatriés américains, installés en France, le regardent avec appréhension s’attaquer à des droits cruciaux, enchaîner les coupes budgétaires et ébranler la diplomatie du pays.
Des Français qui partagent leur vie entre les deux pays assistent aussi, impuissants, au grand chamboule-tout qui se joue outre-Atlantique.
Tous s’interrogent sur le visage de cette nouvelle Amérique, profondément bousculée en quelques mois seulement.
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Le second mandat de Donald Trump
La question fuse parfois comme une plaisanterie : « Mais comment ton pays peut-il se comporter de façon aussi stupide ? » Et laisse souvent Garrett à court de réponse. « Je ne sais pas vraiment quoi rétorquer…. C’est de bonne guerre, je crois », confie dans un soupir ironique cet Américain de 35 ans. Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, il y a tout juste 100 jours ce mercredi 30 avril, nombreux sont les Français qui croisent l’expatrié à tenter de sonder son avis sur cette nouvelle administration, qui a enchaîné avec une vitesse spectaculaire des choix brutaux et critiqués (nouvelle fenêtre). Et seuls deux mots lui viennent aux lèvres : « l’embarras » et la « tristesse ».
Car lorsque le milliardaire républicain a été élu une première fois en 2016, Garrett y a « presque vu un accident ». Mais sa réélection envoie un signal bien plus amer. « C’est symptomatique d’un problème systémique, qui n’est pas près de disparaître », souffle cet enseignant qui habite aujourd’hui en France, d’où il donne des cours en ligne. Pour la première fois depuis son départ pour Paris il y a sept ans, pour y suivre sa compagne française, il se dit soulagé de ne plus vivre aux États-Unis.
Une « parole haineuse » plus que jamais libérée
Un sentiment partagé par plusieurs autres expatriés interrogés. Molly Bagnall, une professeure de cinéma de 27 ans, a vécu la quasi-totalité du premier mandat de Donald Trump, avant d’arriver en France en 2020. Une bouffée d’oxygène pour la jeune femme, déjà préoccupée à l’époque par un « changement de culture » dans son pays. « Les propos racistes, misogynes et homophobes ont été peu à peu normalisés. Et depuis qu’il a été réélu, c’est encore pire, la parole haineuse se libère encore plus », lâche-t-elle.
Malgré la distance, elle continue de suivre l’actualité américaine, et découvre, affligée, l’offensive de la nouvelle administration contre les programmes d’inclusion et de diversité (nouvelle fenêtre), ou encore les coups portés aux droits de la communauté LGBT+ (nouvelle fenêtre). Et les initiatives locales dans son sillage : l’Iowa, dont Molly est originaire, est devenu en février dernier le premier État américain à révoquer des règles qui protégeaient jusqu’alors les personnes transgenres, touchant directement plusieurs de ses amis.
« Tous mes potes sont allés manifester, c’était un moment très dur et très émouvant. Dans mon cœur, j’avais l’impression d’être avec eux », glisse la jeune femme. Mais une distance cruelle les sépare. « Quand je les vois en train de lutter, je me sens un peu coupable, j’ai l’impression de les avoir abandonnés. Parce que moi, je mène une vie paisible à Paris, jamais inquiétée de rien… »
Menaces contre le monde académique, chantage « effrayant » sur les universités…
Pour une tout autre raison, Molly se fait aussi du souci pour sa sœur, une biologiste spécialisée dans les études sur la fertilité. Elle redoute que son poste soit un jour menacé, au vu des positions anti-avortement de Donald Trump (nouvelle fenêtre). Plus largement, c’est l’offensive lancée par le milliardaire contre le monde académique qui la préoccupe.
Scientifique au sein d’une ONG environnementale, Robert McDonald ne peut que partager ces angoisses. Depuis Saint-Louis, une petite commune frontalière alsacienne où il s’est installé avec sa femme française et leurs deux enfants en 2021, cet Américain de 46 ans regarde avec stupéfaction Donald Trump lancer le démantèlement du ministère de l’Éducation (nouvelle fenêtre) et soumettre à un chantage financier les universités, accusées d’être l’épicentre d’une contestation progressiste. Le chercheur se réjouit ainsi de voir son ancien employeur, la prestigieuse Harvard, engager un bras de fer judiciaire (nouvelle fenêtre) avec la Maison Blanche. « La façon dont l’administration utilise le financement fédéral pour exercer son contrôle, c’est effrayant », s’alarme-t-il.
Au sein de sa propre ONG, appuyée sur des financements fédéraux, l’équipe a dû se résoudre à des licenciements. Impuissant, il voit surtout plusieurs de ses amis chercheurs restés chez lui, à Washington, perdre leurs fonds gouvernementaux. Et lui aussi confie se sentir parfois un peu « coupable » d’avoir traversé l’Atlantique, savourant sa « chance » d’avoir pu partir mais rattrapé par la sensation d’être « un peu en exil ».
Il regarde également avec consternation les États-Unis s’enferrer dans l’isolationnisme, « une honte » aux yeux de cet expatrié qui a pris la double nationalité française et américaine, et vit aujourd’hui à la croisée de trois pays, près de la ville suisse de Bâle. Depuis son retour au pouvoir, le républicain a en effet créé une onde de choc internationale en prenant ses distances avec l’Europe, en faisant vaciller le soutien américain à l’Ukraine (nouvelle fenêtre) ou encore en lançant une brutale guerre commerciale planétaire à coups de droits de douane (nouvelle fenêtre).
Guerre commerciale : Trump affole les bourses mondialesSource : JT 20h Semaine
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Sur un plan personnel, Robert a vu fondre la valeur de ses économies mises de côté pour les études supérieures de son fils, qui entrera à l’université dans quelques années. Mais surtout, c’est la vision du monde de l’ex-chef d’affaires qui le choque. « La collaboration entre les nations, c’est essentiel pour construire un monde meilleur », martèle le scientifique.
Toujours dans la lignée de sa politique « America First » (l’Amérique d’abord), Donald Trump a aussi lancé une vaste offensive anti-immigration, procédant à des expulsions en série (nouvelle fenêtre), une frénésie qui vient menacer directement certains proches des expatriés interrogés. Le meilleur ami de Garrett vit aujourd’hui au Cambodge avec sa compagne vénézuélienne, et le couple s’interdit pour l’heure de se rendre aux États-Unis, alors même qu’ils s’y sont mariés. « Elle est sur une liste rouge et pourrait être instantanément expulsée », s’inquiète le trentenaire, « consterné » pour ses amis.
Une administration qui « démonte petit à petit l’Amérique qu’on connaît »
Face au séisme qu’ont représenté les derniers mois outre-Atlantique, les expatriés interrogés confient tous trouver du soutien auprès des Français qu’ils rencontrent (nouvelle fenêtre). Une compassion que Sandra* ne peut qu’offrir : cette Française de 54 ans a passé 18 ans de sa vie aux États-Unis, avant de rentrer fin 2020, traumatisée par le premier mandat de Donald Trump. Ces dernières semaines, elle a pris régulièrement des nouvelles de ses amis Américains venus s’expatrier en Europe ou restés sur place, et qui sont « tous angoissés ».
Certains d’entre eux ont déjà perdu leur emploi, notamment ceux qui travaillent au sein de l’USAID, l’agence américaine d’aide au développement largement démantelée par Donald Trump (nouvelle fenêtre). « Voir les images des lettres de l’organisation retirées une à une, c’est terrible. On se croirait vraiment dans un monde sans queue ni tête, complètement dystopique », lâche-t-elle. À titre personnel, sa vie là-bas lui manque souvent, surtout ce sentiment tout particulier de « liberté incroyable » qu’elle y a découvert. Mais tant que Donald Trump est au pouvoir, la quinquagénaire est catégorique : elle n’y retournera pas.
Daniel*, lui, n’aura même pas eu la chance de temps l’expérience. Ce Français de 42 ans, dont près de la moitié de la famille vit outre-Atlantique, aurait bien aimé l’y rejoindre. Mais le projet ne s’était jamais concrétisé, et depuis que Donald Trump a repris les rênes de l’administration, il est tout simplement enterré. « L’idéologie de la loi du plus fort, ça ne m’intéresse pas. C’est clairement une régression qui est en marche, balaie le commerçant. Donald Trump est en train de démonter petit à petit l’Amérique qu’on connaît depuis 30, 40 ou même 50 ans… »
Pour les mois et années à venir, une incertitude vertigineuse
Ce sont désormais ses proches Américains, « très inquiets et un peu démunis », qui réfléchissent pour certains à venir vivre en France. « Il y a des envies de partir, mais pour les réaliser, ce n’est quand même pas simple, soupire-t-il. Ils attendent de voir. » Les expatriés interrogés se retrouvent, eux aussi, suspendus au cours des évènements pour leurs futurs projets, avec plus ou moins d’appréhension. Garrett, lui, se dit prêt à revenir vivre aux États-Unis un jour, une fois le mandat de Donald Trump terminé. Et refuse de céder à une « sinistrose » : « j’espère que nous aurons ensuite un nouveau président, que les choses reviendront à la normale », lance-t-il.
Un optimisme que peine à partager Robert. Lui non plus n’écarte pas complètement l’idée de revenir un jour vivre sur sa terre natale plus tard, mais il s’interroge : la démocratie américaine résistera-t-elle vraiment au passage de la tornade Trump (nouvelle fenêtre) ? « Si la situation s’aggrave et qu’il décide de ne pas suivre les décisions des tribunaux, il aura alors le pouvoir de faire ce qu’il veut, anticipe-t-il. On ne sait pas où tout cela va s’arrêter… »
Pour Molly, qui n’envisage aucun retour dans l’immédiat non plus, le mot est déjà posé : « le gouvernement devient fasciste ». Depuis quelques jours, la boutique en ligne du républicain propose déjà des casquettes rouges flanquées du slogan « Trump 2028 », alors même que la Constitution lui interdit de se représenter pour un troisième mandat. On y retrouve aussi des T-shirts assortis, barrés des mots : « Il faut réécrire les règles ».