Il est l’un des colosses d’Amazonie, culminant jusqu’à 60 mètres de hauteur. En levant la tête, on devine sa cime au-dessus de la canopée ; à terre, ses racines aériennes frôlent parfois les 2 mètres de haut. Approcher un shihuahuaco, c’est éprouver le sentiment de se sentir bien petit. Si l’arbre impressionne par ses dimensions, il le fait aussi par sa longévité : les plus anciens spécimens dépassent les 1 000 ans.
« Le shihuahuaco force le respect et l’admiration », assène celle devenue le visage le plus médiatique de la lutte pour la préservation de l’espèce. Longue chevelure teintée de rose, Tatiana Espinosa, ingénieure forestière de 46 ans, est à la tête d’une concession de conservation de près de 1000 hectares, au sein de la région du Madre de Dios, au sud-est du Pérou. L’ONG Arbio, qu’elle a cofondée avec ses deux sœurs il y a plus de dix ans, est implantée au cœur de cette région amazonienne, l’une des plus grandes du pays, reconnue comme zone critique de biodiversité.
Ici, le shihuahuaco est roi. Tatiana Espinosa a inventorié des centaines de spécimens, vieux d’au moins 500 ans. « Les shihuahuacos sont les piliers de l’écosystème, leur colonne vertébrale. Ils sont connectés à l’ensemble de la forêt à travers un réseau de racines et de communication qu’ils ont tissé durant des centaines d’années, poursuit-elle, et durant lesquelles ils ont développé des niches écologiques et des habitats naturels pour des micro-organismes et différents groupes d’animaux qui dépendent de lui pour se reproduire. » C’est le cas de la harpie féroce, le plus grand rapace du continent sud-américain. Cette espèce menacée a besoin d’arbres géants et de branches très solides pour la nidification de ses œufs. Les aras rouges et bleus, des chauves-souris ou encore des singes, y ont également élu domicile.
Extrêmement dur et résistant
Autant d’espèces qui voient « leur habitat menacé par son extraction massive », dénonce Tatiana Espinosa. Plus de 530 000 tonnes de bois de shihuahuaco ont été exportées du Pérou entre 2012 et 2020, selon une enquête journalistique collaborative latino-américaine, pour un montant de 500 millions de dollars (464 millions d’euros).
Convoité pour son bois extrêmement dur et résistant (en anglais, il porte le nom d’iron wood, « bois de fer »), le shihuahuaco – qu’on retrouve aussi sous les appellations de Coumarou ou Dipteryx – est exporté vers la Chine (à 70 %), et vers l’Europe ensuite, en particulier la France, l’un des principaux acheteurs de ce bois tropical. Le shihuahuaco millénaire termine en parquet dans des logements et terrasses du monde entier. Et la demande internationale ne cesse de croître. Il est actuellement l’un des bois de plus haute valeur commerciale au Pérou, à la faveur de la raréfaction d’autres espèces, telles que l’acajou ou le cèdre, dont les populations ont quasiment disparu par endroits et dont le commerce est davantage réglementé.
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